AUTOPORTRAIT (peinture)

AUTOPORTRAIT (peinture)
AUTOPORTRAIT (peinture)

En Occident, l’apparition de l’autoportrait comme motif puis comme genre pictural se situe à la fin du Moyen Âge (XIVe siècle). Auparavant, dans la miniature, les représentations d’artistes au travail ne font pas défaut, mais l’autoportrait en tant qu’image réflexive manifestant la conscience d’une singularité est beaucoup plus rare: citons celui de frère Rufilus, de l’abbaye de Weissenau, dans un légendaire du XIIe siècle, et celui de la nonne Guda dans un livre d’homélies à peu près contemporain. Ces représentations, souvent inscrites dans une lettrine et accompagnées du nom de l’exécutant, ont valeur de signature. En ce sens, et bien que la ressemblance n’en soit pas réellement l’enjeu, elles attestent l’existence dès cette époque d’un certain individualisme dans le domaine artistique. Cette tendance devait trouver, à la Renaissance, une caution nouvelle dans les idées humanistes qui, à la lumière de l’héritage gréco-latin, célébraient l’Homme et les témoignages de son génie, distinguant du même coup la personne de l’artiste. Reste que dans le monde antique l’autoportrait semble avoir été une pratique assez exceptionnelle: les quelques exemples de peintres au travail que l’on trouve dans la céramique grecque ou dans la peinture égyptienne échappent à cette catégorie car ce sont des images corporatives ou des marques de fabrique, dénuées de ressemblance. En revanche, il est intéressant de constater que les rares autoportraits attestés par les textes grecs, chez Apelle et Parrhasios notamment, passaient en leur temps pour des exercices de virtuosité. La naissance de l’autoportrait, dans la peinture occidentale, est, de fait, intimement liée à des progrès d’ordre technique dont l’irruption aurait favorisé un penchant à se représenter sans doute inhérent à la nature artistique: ce fut d’abord, à la fin du XIVe siècle, la mise au point et la diffusion, à partir de Venise, des miroirs de verre, puis la découverte de la peinture à l’huile, médium dont la fluidité autorisait, davantage que la fresque et la tempera, un rendu précis des apparences. Devenu maître de sa propre image, le peintre (beaucoup plus rarement le sculpteur: là des raisons techniques semblent avoir joué en sens inverse) devait faire de celle-ci le véhicule d’expression privilégié de ses doutes et de ses aspirations personnels, comme des ambitions et des limites de son art. Si la pratique de l’autoportrait fut surtout vivante entre le XVe siècle et la fin du XIXe siècle, elle s’est maintenue, en dépit des abstractions, jusqu’à notre époque, et connaît même depuis le pop art et l’hyperréalisme un regain de faveur auprès des peintres. Son exploitation par la photographie depuis plus d’un siècle et l’utilisation de cette technique par les peintres (ainsi chez Andy Warhol) ont sans doute contribué à la survivance du genre dans le domaine propre de la peinture.

Le peintre en saint Luc

Apparue, semble-t-il en Flandres, au XVe siècle (Rogier Van der Weyden, Dirk Bouts) et assez répandue jusqu’à la fin du siècle suivant (Niklaus Manuel Deutsch, Jan Gossaert dit Mabuse, Lancelot Blondeel...), la formule de l’autoportrait – réaliste ou symbolique – «en saint Luc peignant la Vierge» constitue une introduction idéale à l’histoire du genre, car son évolution épouse celle du statut de la peinture de la fin du Moyen Âge à l’époque moderne. Lorsque, vers 1434, Rogier Van der Weyden (Museum of Fine Arts, Boston) reprend ce très vieux thème de l’art occidental en donnant peut-être au saint patron de sa corporation ses propres traits, il le fait dans un esprit qui adhère encore à la spiritualité médiévale: agenouillé devant la Vierge et l’Enfant, dans un palais ouvert par une baie tripartite sur l’immensité du monde, le peintre consigne de sa fine pointe d’argent, gage de minutie dans le rendu, la beauté du spectacle sacré qui s’offre à lui. Spectateur privilégié, son rôle n’est encore que de «donner à voir» la splendeur de la création divine. Quelques décennies plus tard, vers 1510, chez Maerten Van Heemskerck (musée des Beaux-Arts, Rennes), le peintre est assis devant son chevalet, au milieu d’une salle peuplée de statues antiques; le sol est jonché de livres grecs; dans un coin, on aperçoit un astrolabe. Ce décor majestueux assimile l’artiste à un humaniste versé dans les lettres et les sciences: son rôle n’est plus de copier humblement, mais d’analyser à l’aide des outils de connaissance en sa possession et de recomposer pour atteindre l’idéal, par les proportions notamment. Cette infatuation du rôle de l’artiste culmine dans un tableau de Giorgio Vasari (vers 1567, SS. Annunziata, Florence), où saint Luc se hâte de transcrire sur la toile, avec une sorte d’ardeur héroïque, l’apparition de la Madone et de l’Enfant avec des anges, dont il est le témoin. Au fond, dans l’ouverture d’une porte, on aperçoit un artisan broyant des couleurs, qui est là pour signifier que cette besogne «mécanique» est dorénavant indigne du peintre visionnaire et inspiré.

Le regard du peintre: l’autoportrait «situé»

Dans ses Vite (Vies des peintres illustres ...), Vasari attire notre attention sur un autre procédé, inauguré par Giotto dans les fresques de l’Annunziata de Gaète (1333), où l’on pouvait voir «sa propre figure au pied d’un grand crucifix splendide». Ce type d’autoportrait dit in assistenza ou situé, c’est-à-dire intégré à une scène religieuse ou profane, en dépit parfois de toute vraisemblance, voire de toute logique historique, devait connaître en Italie (et ailleurs), jusqu’au milieu du XVIe siècle surtout, un très grand succès attesté par Vasari lui-même à travers un grand nombre d’exemples: ainsi de Filippo Lippi dans le Couronnement de la Vierge des Offices, Florence (1441-1447), de Luca Signorelli dans L’Histoire de saint Benoît (1499-1504) à la chapelle S. Brizio d’Orvieto, puis de Raphaël dans L’École d’Athènes (1509-1510; chambre de la Signature, palais du Vatican). En Allemagne, à la même époque, Dürer donna de cette formule l’une de ses illustrations les plus originales et les plus poétiques dans Le Martyre des dix mille chrétiens (1508, Kunsthistorisches Museum, Vienne). La particularité de l’autoportrait situé est que l’artiste, souvent perdu dans la foule des protagonistes, n’y est reconnaissable que par l’intensité de son regard dirigé vers le spectateur qu’il semble prendre à témoin de ce qui se passe devant lui. Grâce à cette médiation, qui nous introduit «mentalement» dans l’espace du tableau, la scène acquiert un surcroît de réalité. L’effet inverse est obtenu lorsque l’autoportrait, à l’instar des donateurs des «primitifs» flamands, est d’échelle réduite par rapport aux autres figures, a fortiori lorsqu’il se détache clairement de la scène principale: ainsi dans L’Adoration de la sainte Trinité (1511, Kunsthistorisches Museum, Vienne) de Dürer, ou encore dans un diptyque d’Hinrik Bornemann le Jeune, Saint Luc peignant la Vierge (1499, église Saint-Jacques, Hambourg), où le peintre se dissimule presque dans les plis du manteau de l’Évangéliste.

Quant à l’autoportrait «caché», où l’artiste exploite un accident physique du décor – le plus souvent un reflet dans un miroir, sur un verre ou une cuirasse –, pour s’introduire subrepticement dans son tableau, il constitue l’une des variantes les plus troublantes de la figuration in assistenza , car ses connotations sont généralement funèbres. L’allusion à la mort est particulièrement évidente dans Les Époux Arnolfini (1434, National Gallery, Londres) de Van Eyck (le peintre apparaît dans un miroir à proximité d’une signature au passé qui souligne sa présence sur les lieux: «Johannes de Eyck fuit hic») comme dans une Vanité de Pieter Claesz (vers 1635, Germanisches Landesmuseum, Nuremberg). En raison du sujet de l’œuvre, elle se devine également dans la Tête de saint Jean-Baptiste (1507, musée du Louvre) d’Andrea Solario, où le visage anamorphosé de l’artiste se reflète à l’envers dans le pied d’une coupe d’orfèvrerie.

L’âme du peintre: l’autoportrait «au naturel»

Parce que détaché de tout support iconographique et souvent dénué d’accessoires «parlants», l’autoportrait au naturel est celui dont la signification est la plus difficile à appréhender. Depuis Jean Fouquet (émail, vers 1450, musée du Louvre) jusqu’à Kasimir Malévitch (1933, Musée russe, Saint-Pétersbourg), en passant par Filippino Lippi, Dürer, Federico Barocci, Tintoret, Rembrandt, Vouet, Chardin, Quentin de La Tour, David, Goya, Delacroix, Courbet, Cézanne, Van Gogh, Bonnard, Picasso, Miró et Mondrian, pour ne citer que les plus fameux, se dessine chez les peintres sinon une tradition au sens propre du terme, du moins une tendance à se représenter sous le jour le plus banal, faisant de leur personnalité physique et morale le sujet même du tableau. Les tenants de la psychanalyse allégueront, pour rendre compte d’une telle démarche, le narcissisme inquiet d’un Rembrandt dont les quelque cinquante-cinq autoportraits peints (sans compter les dessins et les gravures) constituent un fascinant «journal intime», la schizophrénie sournoise d’un Quentin de La Tour, voire la folie suicidaire de Van Gogh. Il ne faudrait surtout pas généraliser: en bien des cas, la démarche est plus paisible, ou simplement intéressée (la galerie d’autoportraits fondée par le cardinal Léopold de Médicis aux Offices dans la seconde moitié du XVIIe siècle ne contribua pas peu au succès du genre). De même, l’hypothèse du modèle le plus accessible – et le moins coûteux – n’est pas toujours à exclure, s’agissant, par exemple, d’artistes peu fortunés comme les Nazaréens allemands de Rome, pour qui l’autoportrait (à la mine de plomb) est aussi une manière de se référer aux grands devanciers, Dürer, Holbein ou Cranach.

Parfois, pour compléter ou modifier légèrement son «image», le peintre recourt à des accessoires sans lien direct avec la peinture: ainsi le luth, chez Jan Steen, David Teniers ou le Bolonais Mauro Gandolfi, l’équipement et les trophées de chasse chez Alexandre François Desportes, spécialiste de la nature morte, la pipe chez David Teniers encore, Adriaen Brouwer et, plus tard, Courbet. Dans ce cas, c’est un style de vie, axé sur les plaisirs terrestres, plutôt que la psychologie d’un individu qui ressort du tableau.

Le peintre noble et savant: l’autoportrait «en majesté»

Comme on l’a vu à propos de l’évolution du thème de saint Luc, le statut social et intellectuel de l’artiste et celui de la peinture sont au centre de la problématique de l’autoportrait, surtout à partir de la Renaissance où cet art, naguère «mécanique», accède pratiquement, avec les plus grands maîtres, au rang des «arts libéraux». Formé comme un artisan dans une Allemagne encore médiévale, Dürer donne, après son voyage en Italie en 1493-1495, l’un des tout premiers autoportraits de type aristocratique (1498, musée du Prado, Madrid) avant que d’oser se représenter dans la pose codifiée du Salvator Mundi (1500, Alte Pinakothek, Munich). Les critères de l’autoportrait en majesté sont cependant trop imprécis pour qu’on puisse parler d’un genre en soi. Si, avec Titien (1562, Staatliche Museen, Berlin), Rubens (vers 1638, Kunsthistorisches Museum, Vienne) et Ingres (1859, Fogg Art Museum, Cambridge, Mass.), voire Meissonier (1889, musée d’Orsay), cette formule revêt toute la franchise et l’acuité psychologique du portrait au naturel, mais tirées dans le sens de la distinction sociale, il en va différemment de celle que mettent au point les Florentins dans la seconde moitié du XVIe siècle: l’artiste, généralement cadré à mi-corps, pose entouré d’objets scientifiques ou de collection (allusion à ses qualités d’humaniste) ou bien arbore les instruments non point de la peinture – dont l’exécution continue de relever malgré tout d’un savoir-faire artisanal –, mais du dessin, la partie la plus intellectuelle de l’art (G. Vasari, 1566-1568, Offices; L. Meléndez, 1746, musée du Louvre). Au XVIIe siècle, c’est l’atelier lui-même, dont le décor peut être à l’image de la dignité de la fonction, qui sert de cadre aux autoportraits les plus pontifiants (Pierre Mignard, vers 1690, musée du Louvre) ou les plus hermétiques: dans sa célèbre effigie peinte pour Paul Fréart de Chantelou en 1650 (musée du Louvre), Poussin, noblement campé devant un empilement de tableaux, abandonne au double œil de Junon, visible sur l’une des toiles, le pouvoir de suggérer la dimension visionnaire de son art.

Le peintre au travail: le triomphe de la peinture

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un véritable autoportrait, l’image de Marcia peignant son propre portrait參 à l’aide d’un miroir (Livre des femmes nobles et renommées de Boccace, 1402, Bibliothèque nationale de France, Paris) montre bien ce qui est en jeu dans la représentation de l’artiste au travail, a fortiori dans le cas d’un autoportrait: la célébration, en abyme, d’un art de l’illusion. Apparu en Italie dans le courant du XVIe siècle, l’autoportrait au chevalet ou à la palette hésite d’emblée entre deux types de mise en pages, solennelle (Antonio Moro, 1558, Offices) ou dépouillée (G. P. Lomazzo, 1568, Brera, Milan), dont l’une exalte la dignité de l’art, et l’autre son mystère ou ses présupposés techniques, ce qui explique le succès de la formule jusqu’à notre époque, en particulier auprès des femmes toujours soucieuses de se poser en professionnelles (Catherina van Hemessen, Artemisia Gentileschi, Angelica Kauffmann, Mme Vigée-Lebrun, Hortense Haudebourt-Lescot, Suzanne Valadon, Marie Laurencin...). Avant Cézanne (1885-1887, Fondation Bührle, Zurich) et Modigliani (1919, museu de Arte, Saõ Paulo) qui ont su la renouveler en en faisant un manifeste de leur art, Chardin, dans son merveilleux Autoportrait à l’abat-jour vert (pastel, 1775, musée du Louvre) l’avait portée à sa perfection par un subtil mélange de dépouillement et d’émotion servi par un cadrage «de près»: la peinture n’est jamais si auguste que lorsqu’elle se donne à voir sous son jour le plus humble. Pour peu que l’image s’élargisse jusqu’à mobiliser tout l’atelier, le propos se diversifie: si, avec Jan Steen et Frans I Van Mieris, il ne dépasse guère l’anecdote, Velázquez (Les Ménines , 1656, musée du Prado, Madrid) trouve là l’occasion de se livrer à un jeu fort savant sur la continuité de l’espace réel et de l’espace pictural (avec des sous-entendus funèbres), et, à travers soi, de glorifier la peinture. Goya, dans La Famille de Charles IV (1800-1801, ibid. ) ne retiendra de cette leçon que son aspect tératologique et macabre; témoin discret, il montre ce qui ne peut être «dit». Chacun à sa manière, Vermeer de dos (L’Atelier , vers 1666, Kunsthistorisches Museum, Vienne), Rembrandt de face (1628, Museum of Fine Arts, Boston), exprime, dans le tête-à-tête de l’artiste et du chevalet, le mystère de la création.

Velázquez et Vermeer, comme Rembrandt et Chardin, sont impassibles. D’autres, au contraire, se campent dans des poses «artiste»: sir Joshua Reynolds (1753-1754, National Portrait Gallery, Londres) met la main en visière, pour voir mieux et plus loin sans doute, Jean Jouvenet (vers 1695, musée des Beaux-Arts, Rouen) pointe un index glorieux vers le plafond qu’il est en train de peindre... D’autres enfin rusent pour mieux faire ressortir leur «art», ou bien s’esquivent carrément: Sofonisba Anguisciola montre Le Peintre Bernardino Campi faisant son portrait [à elle] (vers 1560, Pinacoteca nazionale, Sienne), Annibal Carrache abandonne son image sur un chevalet dans un atelier vide (vers 1595, Offices).

Portraits de groupe

Chacune des solutions précédentes se retrouve dans le portrait de groupe, attesté depuis au moins le XIVe siècle (Agnolo Gaddi, 1380?, Offices). Ce type de figuration recouvre cependant des intentions très diverses: au XVIIe siècle, par exemple, tantôt l’artiste se met en évidence parmi les siens, et c’est alors une confidence sur sa vie privée (et son rang social) qu’il nous délivre (P. P. Rubens, Rubens et Isabelle Brandt , 1609, Alte Pinakothek, Munich; Rembrandt, Autoportrait avec Saskia , 1635, Gemäldegalerie, Dresde), tantôt il se mêle à un groupe dont il exalte les vertus spécifiques, artistiques, civiques ou militaires (Frans Hals, Les Miliciens de saint Georges , 1639, musée F. Hals, Haarlem, Eustache Le Sueur, Réunion d’amis , vers 1640, musée du Louvre). Si l’appartenance à une élite intellectuelle est plus rarement évoquée (Rubens, Autoportrait avec Justus Lipsius, Jan Woverius et Philippe Rubens , vers 1611, palais Pitti, Florence), passée la période humaniste, il en va autrement de la vie d’atelier (Le Nain, L’Atelier du peintre , 1645? coll. part.), des liens unissant maître et élèves (Adelaïde Labille-Guiard, Mme Labille-Guiard entourée de ses élèves , 1785, Metropolitan Museum, New York) et des mouvements d’avant-garde (Fantin-Latour, L’Atelier des Batignolles , 1870, musée d’Orsay, Paris; Max Ernst, Au rendez-vous des amis , 1922, Wallraf-Richartz Museum, Cologne). Mais, lorsque le tableau a pour mission de révéler les affinités à la fois affectives et esthétiques, c’est la formule du «tableau dans le tableau» qui fonctionne le mieux: P. Gauguin, Autoportrait avec le portrait d’Émile Bernard , 1888, musée Van Gogh, Amsterdam, et E. Bernard, Autoportrait avec le portrait de Gauguin , 1888, ibid. À cet égard, la démarche de Courbet dans L’Atelier (1855, musée d’Orsay) est significative: portrait de groupe(s), «allégorie réelle» de la situation des arts au tournant du siècle, L’Atelier est aussi un double autoportrait: celui de Courbet à son chevalet, bien sûr, mais aussi celui du «réalisme» tout entier.

Aberrations

Parmesan montrant son image déformée dans un miroir convexe (1524, Kunsthistorisches Museum, Vienne) ou Michel-Ange donnant ses traits à la dépouille dérisoire de saint Barthélemy dans le Jugement dernier de la chapelle Sixtine (1536-1541), amusements d’artistes pour qui le bizarre est une composante esthétique essentielle, ou bien méditation sur la vanité des apparences et de la chair? L’un et l’autre sans doute. Parfois, l’allusion est plus directe: Hans Burgkmair en 1529, Johann Zoffany en 1776, Lovis Corinth en 1896 se portraiturent en compagnie d’un squelette: l’autoportrait n’est-il pas dans ce cas une façon de transiger avec l’irrémédiable? À moins qu’il ne s’agisse plutôt de donner le ton d’un œuvre (Arnold Böcklin, 1872, Nationalgalerie, Berlin). Le thème métaphorique du reflet dans le miroir est plus morbide encore, qui met l’accent sur la fragilité de l’image elle-même (Francis Bacon, 1973, coll. part.). Dans le même ordre d’idées, il arrive que l’autoportrait «fonctionne» comme une sorte de conjuration de la folie visionnaire (par exemple chez H. Füssli, A. J. Carstens, C. D. Friedrich et F. Overbeck) ou du désespoir romantique (Courbet, Le Désespéré , 1843?, coll. part.), à moins qu’il ne serve d’exutoire à des fantasmes de mutilation (dans les Judith de Cranach l’Ancien et du Florentin C. Allori, la tête d’Holopherne est un autoportrait), de martyre par identification au Christ (P. Gauguin, Le Christ au jardin des oliviers , 1889, Norton Gallery and School of Art, West Palm Beach, Floride), voire de carnage et de destruction (dans les années 1980, Robert Combas, dans de nombreuses scènes à autoportrait). Mais cette peur récurrente de la folie et de la mort trouve parfois son dépassement dans des images plus sereines: l’Autoportrait du mélancolique Carlo Dolci (1674, Offices, Florence), où l’artiste s’est représenté contemplant un autoportrait de jeunesse, est, par son mélange de cocasserie et de tristesse, l’une des images les plus émouvantes de l’histoire du genre.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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